Aujourd’hui, mon aventure culinaire n’est pas piquée des hannetons. On se croirait presque dans Koh Lanta, mais avec plus de classe, évidemment. Je suis à Ako-Onsen où je profite d’une chambre traditionnelle en tatami avec vue sur la mer de Haruma. La quiétude de la baie ne laisse en rien présager le carnage qui va avoir lieu ce soir. J’ai un peu de temps avant l’heure du dîner, et je choisis de le passer en me prélassant dans l’onsen du ryokan. Je me rends, aussi promptement que le port du yukuta le permet, vers les bains extérieurs. Je plonge dans l’eau délicieuse et je me perds dans des pensées azurées.
J’entre à 19h dans la salle du restaurant et m’installe à la table. Ce soir je goûte à la cuisine kaiseki, gastronomie traditionnelle japonaise dont le repas est composé d’une multitude de plats plus ou moins copieux. Le menu en japonais, reste à mes yeux complètement mystérieux. Tout commence gentiment avec une assiette de légumes de saison froids, cuits ou marinés. Je ne les identifie pas tous, mais les saveurs sont douces et fraîches. Un petit pot contient des pousses de fougère (ぜんまい), que je mange pour la première fois. Le goût est difficile à décrire, cela ressemble à une asperge avec une note d’amande. La texture est très légèrement croquante. Ensuite, un petit plat fleuri de sashimi de poisson avec du shiso vient ajouter à la note printanière. Dans une petite cocotte, une boule de tofu attend d’être mangée. La serveuse en kimono vient allumer les chauffe-plats sur la table, il y en a deux pour chaque convive. Un poëlon contient un nabe (鍋) composé de fines tranches de porc, carotte, chou chinois, poireaux et champignons. L’autre n’a que du beurre et de l’oignon. Le nabe commence à mijoter, quand soudain, sans crier gare, la serveuse nous apporte des coquillages… vivants.
Alors, en bon français, vous me direz que ça ne vous fait pas peur. Vous en avez vu passer des huîtres dans votre vie. Mais là, ça n’a rien à voir avec une huître. Par exemple, si on vous apportait des escargots géants et baveux sur votre table, qui gigotent pour s’échapper et que le concept est de les mettre dans la poêle vous-mêmes et de les manger, vous feriez peut-être moins les malins ! Ces coquillages, ce sont des ormeaux (あわび), un met très raffiné en Asie. Si vous n’en avez jamais vu, ça ressemble globalement à un vagin en coque.
Nous voilà donc avec des énormes coquillages sur la table, posés sur le dos, qui remuent un petit peu. Nous restons bien une quinzaine de minutes à nous poser des questions existentielles. Est-ce qu’on va pouvoir manger ça ? Comment on va les mettre dans la poêle ? Est-ce que ce serait trop impoli de ne pas les manger ? Si on ne les mange pas, est-ce qu’ils seront mangés par d’autres ou morts en vain ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux aller les remettre discrètement à la mer ? Nous statuons sur le fait qu’il faut les manger, car Bob, Billy et Ben méritent de mourir avec honneur après avoir fait tout ce chemin qu’à nos assiettes. Entre temps, en essayant de s’échapper, les coquillages se sont mis à se coller les uns aux autres dans un mélange infâme de bave et d’antennes.
Nous n’arrivons pas à nous décider à les mettre dans la poêle. Remarquant notre embarras, et voyant l’heure tourner, la serveuse, sans ambages, dépose Bob, Billy et Ben dans leur dernière demeure beurrée. Nous regardons leurs ultimes mouvements vulvaires en attendant le dernier souffle de la bougie pour être certain que ce soit le plus cuit possible. Ça y est, c’est cuit pour Bob, Billy et Ben. J’en prends un dans mon assiette, et en découpe un morceau. Je commence par la « queue » ; les petites antennes, certes désormais immobiles, me dégoûtent un peu. L’aspect n’est pas caoutchouteux, ni dur, c’est assez souple, je coupe sans difficulté. Je m’attendais à un fort goût marin, un peu comme un bulot, mais finalement, c’est très fin, ça ne sent pas la mer. En fait, en aveugle, je n’aurais pas su déterminer que je mange un mollusque. Il y a un petit goût de noisette qui se marie bien avec le beurre. C’est plutôt bon. Je mange presque tout, je n’arrive pas à mettre les grands yeux humides de Bob dans ma bouche. Après avoir avalé tout ça, le repas n’est pas fini, il reste du riz et un léger dessert. Et pour digérer tout ça, quoi de mieux qu’un bain, seule dans l’onsen, face à la mer ?
Mais ces mollusque sont vraiment énormes !!! :O
Oui, ça fait peur hein? 🙂
[…] va réussir à les avaler ? Et la saison des moules, c’est quand déjà ? Va-t-on revivre l’enfer des ormeaux qui tentent de s’échapper de la table ? C’est la surprise, donc c’est l’aventure ! […]