Aujourd’hui je me la joue salaryman. Entre mon cours de japonais, que je reçois, et mon cours de français, que je donne, je file dans un restau sur la Karasuma, la grande avenue près de chez moi. Je l’avais repéré il y a longtemps car il se trouve à côté du supermarché où je vais souvent faire mes courses. C’est un tout petit restau qui sert uniquement des plats à base de bonne viandasse: poulet, porc ou boeuf. Même si tu galères en japonais, tu ne peux pas te tromper: leur logo c’est une vache, sur laquelle se trouve un cochon, sur lequel se trouve un poulet, comme dans Catchin’ cats! Le menu présenté à l’extérieur est tout aussi explicite à grand renfort de photos montrant des plats obèses pour pas cher.
Je rentre dans la gargote et je me pose au comptoir où une dizaine de personnes peuvent s’assoir. Il y a aussi une table de quatre personnes au fond. Derrière le comptoir s’activent les cuistots et serveurs mais une cloison m’empêche de voir ce qu’il font. Je n’aperçois que leur tête, et une chose est sûre, ils ont chaud! A peine entrée, les yeux me picotent à cause de la fumée de la viande grillée. On m’apporte de l’eau et une serviette humide, et on me demande si je souhaite avoir un menu en anglais. “Que nenni mon brave, je sais lire le menu dans votre langue! En vous remerciant!” lui rétorque-je. Bon en fait, j’avais vu qu’il y avait aussi des photos sur le menu à l’intérieur. J’ai l’impression d’être un gamin de deux ans devant un imagier. Tout ça a l’air bien appétissant, et je me fixe sur un チキンカツカレー (chicken katsu curry) qui a le bon goût d’être écrit en katakana, donc je peux le lire. Entre temps, un salaryman entre et, oh misère, la seule place restante est à côté de moi, donc il est bien obligé de la prendre. Pour ceux qui ne le savent pas encore, l’étranger au Japon a un pouvoir énorme, le Gaijin Power, ultra répulsif, qui te laisse toute la place libre autour de toi dans le métro, que tu sentes mauvais ou pas, que tu sois gros ou mince, beau ou laid. Si seulement le gaijin power pouvait aussi éloigner les moustiques!
Mon curry arrive, une assiette bien large et bien remplie de riz, de curry au boeuf et de filet de poulet pâné avec un peu de gingembre confit. Et sa petite salade de chou et de carotte qui va avec. Je prends le temps de faire une photo pour vous avant de me jeter dessus comme une vorace. C’est que les cours de japonais, ça creuse! Entre temps, mon voisin a aussi reçu sa commande et je l’entends manger bruyamment, à coups de slurp slurp crounch crounch. C’est rigolo parce qu’il a commandé des から揚げ (poulet frit) et je me demande bien comment il peut faire autant de bruit. Les ramen ça s’aspire, ça en fout partout, je comprends bien que ce soit sonore. Mais des morceaux de poulet frits, tu les mets dans ta bouche, tu mâches et basta! Je n’ose pas regarder pour résoudre ce mystère. Le curry est bon, un peu épicé mais pas trop, et le poulet est bien aussi, grassouillet mais croustillant, avec une panûre pas trop épaisse, et de la viande qui mérite son nom, avec des vraies fibres, et non pas de l’aggloméré. Ce n’est pas la folie dans ma bouche mais c’est bon. Je cale vite, alors je ralentis le rythme tandis que mon voisin a fini depuis belle lurette. Il est désormais complètement immobile, je ne sais pas s’il rêvasse, ou s’il dort. Je regarde encore distraitement le menu, qui propose d’autres sets. Tu peux mettre des trucs sur ton steak, genre un oeuf au plat, ou moins évident, une crevette pânée. J’avale tout mon plat, je sue peut-être un peu moins que les serveurs, mais je n’ai personne pour me dire que je suis rouge. Mon voisin se lève brusquement quand je récupère mon sac sous ma chaise pour aller payer. Je l’ai peut-être réveillé! J’en ai pour 842yen, et je n’ai plus faim (mais pas pour longtemps, je suis un puits sans fond!), et je sens bon la viandasse pour mon prochain cours. Vive le ファブリーズ! (Fébrèze)
Ça donne faim!
Après l’avoir mangé, ça donne plutôt envie de faire la sieste!