Aujourd’hui c’est opération jalousie. Une amie française qui vit au Japon vient me rendre visite à Paris. Je lui propose de nous retrouver dans un lieu emblématique du raffinement à la française. Je vous pose le décor : les arcades de Rivoli, en face, le jardin des Tuileries, au-dessus, un ciel bleu sans nuages (oui, le soleil parisien existe). Je regarde les clients entrer et sortir au rythme du balancement de la lourde porte dorée. Leurs pieds foulent une mosaïque qui souligne l’existence de la maison depuis 1903. Les touristes succèdent aux parisiens friqués, et n’étant ni l’un ni l’autre, je n’y suis jamais allée. Mon amie arrive et nous entrons chez Angelina, l’incontournable salon de thé. Voilà de quoi narguer les Japonaises à son retour.
Nous sommes accueillis par des sourires et de suite placés à une table en marbre. On nous laisse le temps de parcourir le menu, et une fois celui-ci fermé, la commande est prise. Je ne fais pas dans l’original : je veux absolument goûter au chocolat chaud qui fait la renommée de la maison, l’Africain. Alors quand même, vu la tension actuelle en France, je m’étonne qu’il s’appelle toujours comme ça. Parce que m’voyez quoi. Mais bon, le cacao vient réellement d’Afrique, alors pourquoi pas. Et puis les gens qui fréquentent cet endroit n’en ont juste rien à foutre du racisme ambiant en France. C’est juste le moment de déguster une bonne boisson affalé dans un fauteuil bien confortable, pas de polémiquer sur le nom de ce qu’on boit. J’aurais pu enfoncer le clou en goûtant au Choc Africain, un gâteau moelleux, mais ça aurait été trop fort en chocolat (copyright Nestlé). Je commande aussi une déclinaison de la pâtisserie phare d’Angelina, le Mont-Blanc Praliné. C’est un Mont-Blanc classique, mais avec un cœur au praliné et saupoudré de pain d’épices.
Pif paf pouf, nous sommes servies en un clin d’œil. Le chocolat arrive dans un pichet généreux, accompagné d’un ramequin de chantilly. Ce chocolat est juste parfait : onctueux, doux, légèrement sucré, avec une pointe d’amertume. C’est divin. Il est tellement épais que ce qui reste sur le bec du pichet finit par former une croûte en séchant. Les pâtisseries sont jolies et appétissantes. Le Mont-Blanc est très bon, je ne peux pas le nier, mais je ne trouve ni son goût ni sa texture très fins. J’ai eu l’occasion d’en manger au Japon, notamment ceux de l’enseigne Malebranche, c’est un dessert qu’on retrouve beaucoup là-bas. Et je dois dire que c’est l’un de ces trucs qu’ils ont su complètement s’approprier. Les Japonais ont cette faculté de reprendre des recettes étrangères, et de les sublimer (ça leur arrive aussi de les détruire, mais personne n’est parfait). Moi qui voulait faire jalouser des Japonaises, pour le coup, c’est raté. Nous nous éternisons dans le café, on est bien, on papote, on sirote, on grignote. Et nous avons le temps de voir défiler une myriade de clients autour de nous. Notamment une grande tablée de Japonais, juste derrière nous, qui étaient tous vêtus de la même façon, et qui ont tous commandé la même chose, le classique Mont-Blanc, qu’ils ont gobé en cinq minutes. Ils sont tous repartis dans la foulée. Ça c’est bien une chose que les Japonais peuvent nous envier : notre faculté à glander, en toutes circonstances, et sans aucun remord.